- MARSHALL (T.)
- MARSHALL (T.)Thurgood MARSHALL 1908-1993Né dans un quartier pauvre de Baltimore — une des villes du Sud historique des États-Unis, où la proportion de la population noire est parmi les plus fortes —, Thurgood Marshall incarne de manière exceptionnelle la lutte collective de ses frères de couleur pour la reconnaissance de leur dignité comme citoyens américains à part entière. Au décès du premier membre noir de la Cour suprême fédérale, les drapeaux ont été mis en berne sur tous les bâtiments fédéraux, et beaucoup de dirigeants politiques lui ont rendu un hommage d’une rare chaleur.Enfant doué, Marshall a été poussé dans ses études par ses parents; son père est petit employé, sa mère maîtresse d’école. Il s’inscrit, après quatre années dans une université de Pennsylvanie, à la faculté de droit de l’université Howard, la grande université noire de Washington, dont il est diplômé en 1933. Il est admis au barreau de Baltimore et y commence une carrière d’avocat, plaidant contre les pratiques de ségrégation instituées ou tolérées dans les États du Sud par les lois et les règlements en vigueur et par la jurisprudence des tribunaux. Ses premiers succès lui font attribuer le poste de chef des services juridiques de la puissante Association nationale pour le progrès des gens de couleur (National Association for the Advancement of the Colored People, N.A.A.C.P.), fondée au début du XXe siècle, qui approuve sans réserve la stratégie visionnaire qu’il lui propose.L’objectif prioritaire, pour Marshall, est de briser le carcan juridique créé par les Blancs du Sud à la fin du XIXe siècle, en réaction contre l’émancipation des esclaves et contre les mesures interdisant la discrimination adoptées au lendemain de la guerre de Sécession. Il faut, pour cela, se servir de la justice et s’en faire une alliée. La situation faite aux Noirs est contraire aux principes d’égalité sur lesquels est fondée la république américaine; il faut le démontrer avec persévérance et en persuader les tribunaux, obtenir que la justice protège les Noirs au lieu d’aider à les opprimer et aller pour cela jusqu’au sommet de l’appareil, c’est-à-dire à la Cour suprême fédérale, dont les arrêts définissent le droit. Les victoires ainsi remportées permettront de s’attaquer ensuite, avec de meilleures chances de succès, aux inégalités économiques et sociales dont souffre si cruellement la communauté noire.Le terrain choisi par Thurgood Marshall, avec le soutien des présidents successifs de la N.A.A.C.P., est celui de l’enseignement public: la société américaine croit profondément au progrès par l’instruction, et quelles meilleures victimes pour lui donner mauvaise conscience que des enfants méritants et des étudiants appliqués? Or, presque partout dans le Sud, Blancs et Noirs font leurs études dans des établissements séparés. En vertu de l’arrêt Plessy vs Ferguson de la Cour suprême (1896), la séparation est licite, à condition que les services offerts aux uns et aux autres soient équivalents (separate but equal ). La condition d’égalité n’est évidemment pas respectée: les écoles noires sont le plus souvent misérables, les universités noires n’ont pas la qualité des autres. L’équipe d’avocats dirigée par Marshall s’attache à le démontrer.Les procès intentés devant les tribunaux, principalement mais pas exclusivement dans le Sud, ébranlent la machine judiciaire. Dès la fin des années 1930, dans des arrêts souvent retentissants — Thurgood Marshall plaidera au total dans trente-deux affaires devant la Cour suprême, et obtiendra gain de cause vingt-neuf fois —, la condition d’une égalité réelle des services est posée; à défaut d’égalité, la ségrégation est illégale.Au début des années 1950, cette jurisprudence est devenue si claire que Marshall décide d’obtenir un renversement de l’arrêt de 1896. L’aboutissement de cette action est le célèbre arrêt Brown vs Board of Education of Topeka (mai 1954). Se rangeant à l’argumentation des avocats, la Cour suprême y proclame que, dans l’enseignement public, toute ségrégation par races est contraire à la Constitution. Grâce à l’adresse et à la force de persuasion de son nouveau président, Earl Warren, ancien gouverneur de Californie, la Cour suprême se prononce à l’unanimité de ses neuf membres, ce qui supprime toute possibilité de revirement dans l’avenir. C’est pour Marshall le couronnement de sa carrière d’avocat, pour la communauté noire le début d’une ère nouvelle: manifestations de masse à partir de 1955, sous l’égide notamment du pasteur Martin Luther King; vote en 1964 et 1965 des grandes lois interdisant la ségrégation dans les services ouverts au public et protégeant le droit de vote; lutte contre la pauvreté, discrimination positive (affirmative action ) impulsée par les tribunaux. D’autres dirigeants noirs que Marshall et King, contre eux, estiment alors que l’objectif de l’intégration ne peut être qu’un leurre et appellent les jeunes Noirs à la lutte au nom du séparatisme et du pouvoir noir (Black Power). Comme King, Marshall ne cessera jamais de se considérer comme américain et d’exiger d’être reconnu comme tel.Nommé en 1961 par le président Kennedy à l’une des cours d’appel fédérales, puis par le président Johnson, en 1965, avocat général (solicitor general ) des États-Unis, Marshall est nommé, également par Johnson, en 1967, juge à la Cour suprême. Il y fait preuve, pendant vingt-quatre ans, d’une remarquable capacité à percevoir les implications sociales et humaines du droit, et s’oppose avec une énergie et un humour inébranlables à ce qu’il considère comme la dérive conservatrice des années 1980 en matière de droit constitutionnel, dans une Cour suprême divisée, où beaucoup d’arrêts importants sont rendus à une majorité de cinq voix sur neuf.
Encyclopédie Universelle. 2012.